Le peintre Robert Combas par Bernard Marcadé, encyclopédie Universalis

Robert Combas est né à Lyon en 1957. Après des études à Sète et à l’école des Beaux-Arts de Montpellier, il accède très vite à la notoriété, puisqu’il participe, dès 1980, à l’exposition Après le classicisme, organisée au musée de Saint-Étienne, qui rend compte des nouvelles tendances de l’art contemporain. Partie prenante de la mouvance de la Figuration libre (en compagnie des frères Di Rosa, de Boisrond et de Blanchard), c’est à Düsseldorf et à Amsterdam que Combas réalisera ses premières expositions personnelles. Sa peinture, influencée par les univers de la bande dessinée et du rock, revendique son caractère populaire. Après les rétrospectives au musée des Sables-d’Olonne (1985) et au musée de Saint-Étienne (1986), après son hommage à Toulouse-Lautrec au musée d’Albi (1990), Combas aborde dans sa peinture les territoires de la spiritualité et de l’ésotérisme, comme en témoignent l’exposition Du simple et du double au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (1993), les rétrospectives Fantaisies héroïques à Sérignan (1996), Savoir-faireau musée d’Art de Séoul (Corée du Sud, 2006) et Greatest Hits au musée d’Art contemporain de Lyon (2012).

Prise dans le courant de la Figuration libre, la peinture de Robert Combas fut l’objet de débats passionnés au tournant des années 1980. À plus d’un titre cependant, cette œuvre protéiforme se distingue du « retour à la peinture » qui caractérise cette époque. Robert Combas s’est toujours méfié des étiquettes que l’on a posées sur son art. De la Figuration libre, il ne conserve que l’épithète « libre » ; de l’art brut, il ne conserve que « brut ». De l’art brut, il revendique la pureté ; de la Figuration libre, l’impureté.

Plus que de retour, il faudrait parler ici de réactivation de zones d’intensités oubliées. La peinture de Combas développe en effet, sur un mode particulièrement original, des préoccupations qui constituent des données fondamentales de la culture et de la sensibilité populaires. Aujourd’hui, il est possible de voir comment le monde de Combas est plus proche de celui de Gaston Chaissac (1910-1964) que de celui des graffitistes américains ou des néo-expressionnistes allemands avec lesquels son œuvre a pu être comparée. On retrouve dans sa formidable capacité d’invention, dans sa jubilation à faire cohabiter les univers les plus contradictoires (bande dessinée, actualités, musique rock, histoire de l’art, traditions religieuses, etc.), dans son ambivalence, sa verve, son sens de la satire et du grotesque, des accents qui le rapprochent d’Alfred Jarry et même de Rabelais.

En 1977, Robert Combas, encore étudiant à l’école des Beaux-Arts de Montpellier, réalise une série de tableaux dédiée aux héros de Walt Disney. Alors que la plupart de ses amis (principalement les frères Hervé et Buddy Di Rosa) étaient influencés par la bande dessinée « branchée » de l’époque (dans la ligne de Bazooka), Combas choisit délibérément de rendre hommage à la bande dessinée populaire et enfantine (VaillantPif le ChienPiloteTintin). Quand il écrit sur une de ses peintures de 1978 : « Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde », Combas veut dire que c’est moins la bande dessinée en tant que telle (comme genre, ou surtout comme style) qui l’intéresse, que ce qu’elle signifie dans l’imaginaire populaire. Combas s’intéresse à ces univers parallèles parce qu’ils constituent une réserve créative et imaginaire toute prête, dans laquelle il est possible de puiser facilement, sans faire appel aux alibis de l’inspiration.

Il faut parler de la peinture de Combas en termes de contamination. Tous les éléments en jeu dans cette œuvre (formes, mots, images, genres, sujets, références…) entrent en effet en contagion les uns avec les autres, empêchant à chaque instant que ne se reconstitue la moindre des spécificités. Rien en effet ne demeure intact ; toutes les intégrités se dissolvent ; le mineur ne cesse de contaminer le majeur, le « bas » d’infecter le « haut ». Des aventures du « Capitaine Couillandré » (1984) à celles de Didon et Énée (1988), des frasques de Goulu « le lécheur d’entrejambe » à celles du « Général se prenant pour de Gaulle et Vercingétorix » (1984), de la relation de la tuerie du Heysel (1987) à l’évocation de la tour de Babel (1990) ou à la Grande Guerre (1998), il n’est pas de sujets ou de thèmes qui semblent résister au peintre.

À partir de 1987, Robert Combas décide d’aborder l’univers religieux, voire ésotérique. Ce tournant s’accompagne de la découverte pour lui de la cathédrale de Chartres, de Venise, des icônes byzantines et des images alchimiques. L’espace de ses toiles se trouve peu à peu envahi de coulures. Grâce à ces « rideaux de peinture » qui traversent ses tableaux, Combas résout un problème formel – l’intégration du fond et de la figure – en même temps qu’il porte à son comble une manière de syncrétisme pictural.

De la nature morte à la scène de genre, de la fresque mythologique aux grandes batailles, des portraits historiques aux évocations et aux allégories religieuses, rien ne semble étranger à Combas. Cette contagion prolifère par vagues, opérant gangrènes, hybridations et boursouflures des genres et des espèces constitués… Dans ces entremêlements de références et de sujets, dans ces enroulements vertigineux des formes et des figures, ces enchevêtrements des mots et des images (les titres chez Combas constituent de véritables textes savoureux et poétiques : Josiane la mazone lesbienne… il paraît qu’elle a couché avec la femme du droguiste, 1985, La République de mon cœur ! La République de ta sœur, 1985, ou encore Et tu t’affaires à faire la guerre, afin de préparer l’avenir de la Terre. Et tu ne penses pas nuire bien au contraire, 2003) s’opère une forme de transsubstantiation du « vil » et du « noble », qui bouleverse et déstabilise les hiérarchies et les conventions.

Robert Combas poursuit un travail commencé au début des années 1990 et inspiré par des dessins d’après l’antique, dits académiques, qu’il recouvre de traits, à la manière de scarifications, et qu’il nomme ses « tatouages académiques ».

—  Bernard MARCADÉ