Le Fou triste aime la vie mais il est autiste et n’arrive à converser qu’avec sa forêt de fleurs dont il est le roi. Ses sujets l’honorent et le décorent de leurs pétales de toutes les couleurs et leurs parfums illuminés tirent des boulets de canon d’odeur luxuriante. Le fou triste est au paradis mais il est autiste quand pourra t-il retrouver la vie qui s’en va à mesure. Il sait qu’il est sur la bonne voie. Déjà la terre lunaire a disparu pour faire place à toutes les fleurs de la création mentale. Combien de temps encore va t-il attendre sans pouvoir parler, chanter ou rire. Déjà, il a supprimé l’hiver et l’automne sur son calendrier cervical.
L’autiste dans la forêt de fleurs (1991)
Mon tableau Fétiche, dont voici un commentaire de Michel Onfray [extrait de Transe est connaissance. Un chamans nommé Combas, éd. Flammarion]
Une grande toile paraît emblématique de la présence au monde du chamane Robert Combas : L’autiste dans une forêt de fleurs avec ce long texte qui constitue le titre dans son intégralité : « Le Fou triste aime la vie, mais il est autiste et n’arrive à converser qu’avec sa forêt de fleurs dont il est le roi. Ses sujets l’honorent et le décorent de leurs pétales de toutes les couleurs et leurs parfums illuminés tirent des boulets de canon de l’odeur luxuriante. Le fou triste est au paradis, mais il est autiste. Quand pourra-t-il retrouver la vie qui s’en va à mesure ? Il sait qu’il est sur la bonne voie. Déjà la terre lunaire a disparu pour faire place à toutes les fleurs de la création mentale. Combien de temps encore va t-il attendre sans pouvoir parler, chanter ou rire ? Déjà, il a supprimé l’hiver et l’automne sur son calendrier cervical ». Voilà.
Pourquoi est-elle emblématique ? Pour l’autisme ? Non. Nous le sommes tous plus ou moins, question de degré et non de nature… L’artiste, le créateur, le philosophe, l’écrivain, le compositeur sont bien souvent plus à leur monde intérieur qu’au monde des autres. Est-ce cela qu’il faudrait nommer autisme ? Alors pour le fou triste ? Pas plus. Le fou n’est pas le déraisonnable, mais celui qui utilise une autre raison. Combas y recourt en dionysiaque : il utilise la raison spermatique, la raison bachique, la raison libidinale, la raison chamanique bien sûr, la raison impure, la raison chromatique, la raison synesthésique, la raison musicale. Ou bien pour le triste ? Peut-être, mais la tristesse est une passion grise et Combas peint rarement en gris.
Cette longue toile (216 X 518 cm) montre un homme comme une fleur dans une forêt de fleurs. On sait que les pétales, les pistils, les sépales, les étamines nomment différentes parties d’une même chose : un sexe. Qui n’a jamais songé, en plongeant son regard dans la corolle et le calice d’une orchidée par exemple, à l’entrée mystérieuse de l’ouverture d’une femme et aux promesses de voyages induites ? Le jardin d’Eden originel dans lequel émerge la tête de ce fou triste se compose d’une orgie de sexes féminins. Couleurs qui explosent, odeurs luxuriantes, parfums illuminés, cette toile se sent et s’entend autant qu’elle se regarde. L’artiste est moins autiste que fleur magique obéissant aux injonctions du cosmos. Le chamane se fait tigre et fleur, serpent et rocher, brume et vent, silence et couleur – ici, Combas s’épanouit en fleur parmi les fleurs, tel un simulacre capiteux, une pluie d’atomes ou une volée de particules se déplaçant dans l’air comme une note de musique traverse l’espace, détachée de la musique des sphères.
Le chamane est comme une fleur dans un champ de fleurs. Ou comme une étoile dans un cosmos. Ou comme un loup dans une meute, une abeille dans une ruche. Car il endosse tous les costumes possibles du réel. Comme l’artiste. Comme Combas. Dès lors, notre artiste peut se faire fou triste, autiste parfumé, sujet d’un roi de pétales, décérébré du calendrier cervical, exilé de la terre lunaire, chanteur sans voix, rieur à la bouche fermée, mutique dans l’attente de rien, le bruit du cosmos passe par lui – il emprunte la voix qu’il a sur scène.