Robert Combas
L’enfance de l’art
PAR Catherine Millet

 

« Père ne vois-tu pas… »
Jacques Lacan

L’art moderne, moderne c’est-à-dire harassé par la découverte de l’Histoire, se comporte, c’est connu, comme une femme du monde qui, vieillissant, entre dans le cycle infernal des liftings. Chaque station devant le miroir exige un nouveau rajeunissement. Chaque fois que l’art s’auto-considère, fait face à son passé pour mieux comprendre sa fonction présente, une vague d’innocence vient défroisser les plis creusés par trop de savoir.
C’est ainsi que les facéties dadaïstes ou le dessin prétendument enfantin de Miro contredirent le classicisme cubiste, que le groupe Cobra revendiqua le droit à une expression primaire, que Dubuffet alla fouiner dans l’Art Brut quand le Surréalisme fut devenu trop intellectuel et l’abstraction trop rationnelle.
On a donc interprété la peinture de Robert Combas, sa technique approximative, son inspiration populaire (pub, B.D., pochettes de disque, kitsch) et le discours très anti-culturel qui l’accompagne (Combas adore son rôle de jeune homme fraîchement débarqué d’un milieu ouvrier de province, doué mais récalcitrant à tout enseignement…) comme la réaction tout à fait légitime aux théories sophistiquées qui nous avaient passionnés dans les années 70. Toujours un peu pervers, le milieu artistique s’est laissé séduire par ce semi-marginal, s’amusant de le voir faire la nique à ses aînés : on l’imagine branchant la télé à l’heure des spots de pub quand Viallat transmettait l’héritage de Matisse, plongé dans l’écoute du rock quand Louis Cane potassait Lacan.
On a aussi beaucoup comparé la Figuration Libre dont Combas s’est voulu le leader, aux courants de peinture contemporains, italiens et allemands. On a eu tort. Cet art qui prétend mépriser les références nobles de l’histoire de la peinture est aussi loin da la nostalgie expressionniste des Allemands et de la conception chiriquienne des Italiens que du culte des avant-gardes des années 60/70 pour quelques grandes figures de la tradition moderniste. Allègrement, a Figuration Libre alimente le mythe moderne de l’enfance de l’art qui s’oppose en permanence au mythe tout aussi moderne d’une appropriation totale de l’Histoire.

(Qu’on me pardonne ici de schématiser pour mieux rendre compte d’une situation telle qu’elle est perçue globalement. Il est évident qu’il existe des emprunts d’origine populaire chez Viallat, de l’imagerie illustrative mélangée à Chirico ou à Picasso chez Chia ou chez Cane. Quant à Combas qui aujourd’hui renie la référence, pourtant rapide, qu’il fit un jour à Dubuffet et à Miro, combien de temps tiendra-t-il; lui qui désormais circule dans le milieu de l’art et dont la main répercute si vite les impressions visuelles, sans vraiment rien piquer à la grande peinture? Bien sûr, les aspirations contradictoires de notre époque ne départagent pas tant les mouvements qu’elles ne traversent , comme on dit, les individus.)
Une position comme celle de Combas s’apparente en fait à une position néo-dadaïste. Elle s’y apparente dans son goût pour les reproductions visuelles dévaluées de notre civilisation, dans ses propos résolument anti-intellectuels que j’ai évoqués. Cette innocence culturelle dans laquelle Combas cherche à se maintenir (« J’avais trouvé la solution de ma liberté : faire à l’encontre de ce qu’on me disait. ») est un avatar édulcoré de la table rase dadaïste. Lorsqu’il affirme son désir de surprendre (« Tout le monde me disait que tout avait déjà été fait. Or j’ai toujours voulu faire quelque chose de nouveau. »), ou lorsque mettant en avant son personnage, il assume une version outrée du rôle de l’artiste (« J’ai toujours été drôle de nature et cela se retrouve dans ma personnalité : je suis un peu comme un clown. »), n’applique-t-il pas là aussi une tactique dadaïste? D’ailleurs ces déclarations font beaucoup penser aux sentences de Ben, Ben qui a plutôt soutenu la Figuration Libre.
La façon dont on a tellement insisté, au moment où ils ont commencé à exposer, sur la jeunesse des tenants de la Figuration Libre (ils avaient à peine plus de vingt ans) me paraît être le signe sociologique de l’impérieux besoin dans lequel nous nous trouvions de régénérer ce mythe de l’enfance de l’art. Après tout, nous étions en train d’enregistrer que l’art moderne avait pris de la bouteille, qu’il était même en train de devenir post-moderne, et la seule naïveté sur laquelle nous pouvions encore compter était celle que garantit l’âge. Le scandale provoqué par les dadaïstes puis par les surréalistes tenait au fait que des adultes brusquement semblaient se comporter comme des enfants. L’effervescence, où se sont mêlées réticence et fascination, avec laquelle on accueillit la Figuration Libre, correspondit à l’étonnement de voir surgir des peintres qui étaient presque encore des enfants. Combas est ce que les dadaïstes ne pouvaient que faire semblant d’être. Son art, que l’on range volontiers dans le mouvement général du « retour à la peinture », pourrait bien aussi avoir reçu quelque autorisation lointaine de Dada…

Refusant toute forme modelée par l’histoire culturelle, Combas travaille obligatoirement à partir du stéréotype. Ses personnages sont les lieux communs de l’imaginaire populaire : ceux un peu ringards à force d’être éprouvés, le militaire, le malabar, la fille, héros des blagues qu’on se raconte, des gags-télé, – et ceux, plus jeunes, qu’on rencontre dans la bande dessinée et le dessin animé, la superwoman aux gros seins et mitraillette au poing, tous les objets et toutes les plantes humanisés qui ont des yeux, une bouche, des jambes. Combas cite aussi ces fétiches qui encombrent les dessus-de-lit ou pendent aux rétroviseurs, vieilles peluches dont des gâteux sentimentaux n’arrivent pas à se séparer.
Un grand nombre de ces figures, dans leur caractère et dans leurs attributs, se rapprochent aussi de l’Art Brut. En exagérant le stéréotype par des effets de répétition ou de grossissement des symboles, le dessin de Combas révèle la vérité de ces stéréotypes, une de ces vérités que les artistes marginaux, qui ne sont pas contraints par les mêmes tabous que les autres, sont souvent seuls à avouer aussi crûment. Ces morceaux de vérité sont par exemple les organes génitaux extrêmement développés de la plupart des personnages (les verges sont presque parfois, en elles-mêmes, des personnages autonomes, les vulves, évidemment, sont comme des grosses fleurs carnivores), le sexualisation de nombreux motifs ornementaux (Combas a inventé une fleur mâle). Autre point commun avec l’Art Brut : une certaine prédilection pour les figures militaires. Combas raconte les aventures d’une sorte de soldat d’opérette, il a portraituré Napoléon (bien sûr) et de Gaulle (dont paraît-il, lorsqu’il était enfant, son père l’encourageait déjà à faire des caricatures), il a réalisé toute une série de toiles sur le thème des batailles. Toute cette faune que nous côtoyons en feuilletant des magazines et dont nos enfants, nourris d’illustrés, sont familiers, « squeezée » par le trait vigoureux de Combas, finit par cracher le morceau. L’admiration que l’on éprouve pour les biceps d’un costaud dissimule la seule question qui nous occupe vraiment, à savoir si son membre caché est effectivement proportionnel aux membres qu’il exhibe. L’agressivité que l’on prête à ce que Combas appelle « une jeune fille dévergondée » est en fait le renversement de cette crainte archaïque éprouvée par l’homme devant ce qu’elle expose trop complaisamment. Quant au culte des héros militaires qu’on nous inculque au travers des livres d’Histoire (Combas dit s’inspirer aussi beaucoup des livres de classe) ne contribue-t-il pas à cristalliser la paranoïa collective?
L’hyper-stéréotype de Combas met à nu (sens propre et figuré) ce que l’image conventionnelle ne suggère que sournoisement et dont elle se nourrit pourtant essentiellement, – qu’en fait elle a pour fonction d’endiguer en édulcorant. Il applique exactement un procédé ainsi décrit par Pierre Klossowski : « Le stéréotype a une fonction d’interprétation occultante. Mais si on l’accentue jusqu’à la démesure, il en vient à opérer lui-même la critique de son interprétation occultante. »

Donc, pour résumer ce qui précède, Combas nous met le nez sur nos fantasmes sexuels les plus frénétiques en employant un vocabulaire normalement destiné aux enfants. Et le retournement du stéréotype contre lui-même se produit dans le télescopage, sur la toile, de la crudité sexuelle de propos et de l’innocence, perverse bien sûr, du registre esthétique. La con de sa mère… fait se rencontrer un énorme monstre au corps triangulaire, tendu comme dans une convulsion, la bouche pleine d’un éclatant dentier, pénis tressautant (mais la chair rendue avec assez de raffinement dans un mélange de rose et d’orangé), et un oiseau un peu bêta, de ces jouets mécaniques aux couleurs vives. Dans C’est la fête de la nuit…, le magicien au chapeau claque – qui ressemble à Zorro, mais l’un et l’autre font pareillement rêver les enfants – se trouve flanqué à droite d’une guitare aux seins arrondis et au nombril étoilé, à gauche d’un personnage hilare, de sexe indéterminé, l’énorme verge ne parvenant pas à dissimuler la poitrine féminine.
Ajoutons que la façon dont Combas surcharge ses tableaux de symboles sexuels, peut se comparer à la jubilation avec laquelle un enfant répète un mot obscène qu’il vient d’apprendre.

L’état de grâce dans lequel se trouve suspendue l’oeuvre de Twombly, tient à ce que l’artiste traite le graffiti de chiottes avec la fraîcheur d’un fresquiste du Trecento. Le charme solennel qu’exerce l’oeuvre de Klossowski naît de ce quelle témoigne du voyeurisme le plus commun avec le hiératisme du dessin académique et dans la transparence du crayon de couleur. Ces artistes ont choisi de demeurer au plus près de la vérité sexuelle – de ne certes rien concéder aux convenances – mais paradoxalement en usant d’une forme angélique. De même les débauchés de Sade parlent une langue noble et pure. Combas, lui, aurait plutôt une parenté avec Alfred Jarry. Il affecte la gaudriole adolescente un peu comme Jarry réécrivit toute sa vie une oeuvre qui fut à l’origine une farce de potaches. La sexualisation à laquelle il soumet non seulement ses personnages mais aussi les objets qu’ils manipulent, les décors où ils s’ébrouent, ressemble beaucoup à l’univers pleinement sexuel du père Ubu. Dans ses toiles, par un effet de contamination dû à toutes les représentations sexuelles évidentes, la moindre guirlande, le moindre ustensile du genre poignard ou queue de casserole, acquiert un sens érotique; dans Les gens de la bouffe, les bananes qui remplacent les pistolets pourraient bien aussi remplacer… etc… Comme dans Ubu également, cette charge libidinale est essentiellement infantile : elle s’investit beaucoup, nous l’avons vu, dans le jeu de la guerre, ou se trouve détournée dans l’obsession de la nourriture. L’un des deux malabars des Gens de la bouffe mange un énorme sandwich, tandis qu’à côté de lui une négresse « aux yeux d’oeufs et au jus de tomate… » se fait « aspirer le cul ». Ou encore, dans Le jeu du bouffe pédé…, « le jeu consiste à bouffer, j’ai bien dit bouffer, pas manger » un sexe accroché à un bâton; si on perd, on « se fait trancher la tête », autre leit-motiv ubuesque. Car Ubu (que Combas a doté d’une sorte de frère en la personne du Chevalier Cagoular, au ventre rond et au chapeau pointu), pareillement, ne sait guère que brandir son sabre à merde et clamer sa faim. La vérité sexuelle sort ( et entre) par la bouche des enfants…

Cette voracité des personnages de Combas – tous gratifiés d’une bouche abyssale – n’a d’égal que la boulimie visuelle de leur auteur. Les toiles de 81/82 présentaient, à l’intérieur de rectangles margés, type B.D., des compositions relativement simples. Aujourd’hui, les compositions sont au contraire extrêmement complexes. D’une part l’artiste situe de plus en plus ses figures dans des paysages et dans des intérieurs, et non plus sur des fonds abstraits, d’autre part figures et éléments de décor prolifèrent et s’interpénètrent au point qu’il semble se produire un évènement nouveau tous les cm2. Le héros combassien est la proie d’incubes et de succubes : deux têtes menaçantes ont pris la place des mollets d’un de Gaulle/Vercingétorix et les bas-résilles de Fannie sont tissés de têtes et de mains. Une sous-humanité larvaire grouille dans les replis des corps des géants, sous leurs aisselles, dans leur entrejambe. Et lorsqu’il n’y a plus suffisamment d’oxygène dans ces interstices, les figures sont relayées par l’écriture.
A ce bourrage de l’espace par des figures appartenant à des registres formels assez différents, depuis le bonhomme formé de quelques bâtons, type « pendu », jusqu’à des caricatures très élaborées, correspond la hantise, chez l’artiste, du renouvellement. L’éthique de Combas n’est sûrement pas celle du même tableau que l’on reprend tout au long de sa vie. « J’ai toujours refusé les références uniques ou les positions plastiques uniques comme l’a fait Yves Klein », déclare-t-il. De fait, sa production de ces derniers mois est d’une prodigieuse richesse, l’invention formelle allant de pair avec un travail plus recherché de la couleur qui nécessite de plus en plus l’utilisation de toile préparée. Et comme si cette profusion ne suffisait pas, comme s’il paniquait à l’idée que sa volonté d’attribuer du sens à la moindre parcelle d’espace puisse être enrayée, Combas prolonge ses représentations dans la débauche verbale de ses titres. Non seulement ceux-ci sont interminables (facilement plus de cinquante mots) et construits selon une syntaxe très libre (elle aussi) qui répond à une logique plutôt déroutante, mais ils peuvent encore présenter des variantes. La surenchère sémantique ne connaît pas de limite.
La compulsion du remplissage renvoie, elle aussi, à certains exemples de l’Art Brut (Wölffli) ou à certaines oeuvres de l’art moderne qui s’inspirèrent de celui-ci (les labyrinthes d’Alechinsky, l’Hourloupe de Dubuffet). Dans certains de ses effets, les plus simples et les plus gratuits, ceux qui, chez Combas, correspondent aux rayures, aux signes à mi-chemin entre la guirlande de Noël et la calligraphie arabe, cette compulsion est liée, de façon évidente, à l’idée d’un art non prémédité, proche de ces gribouillis dont on remplit, inconsciemment, un papier qui traîne sous la main. (Parlant d’Alechinsky, Jean-Clarence Lambert disait que la ligne sinueuse était « une revendication de l’instinct ».) Le remplissage naît de la multiplication. Le monde de Combas est peuplé de monstres qui pour la plupart ont leur clone, et il est régi par un Dieu à six têtes. Le peintre ajoute lignes sur lignes – souvent le cerne noir qui dessine le contour des figures est redoublé par une ligne de couleur – et débusque l’image dans l’image – un peu comme dans ces devinettes où il faut trouver le loup caché dans le feuillage de l’arbre -. N’est-ce pas sa façon à lui de courir après la vérité première de la peinture, après une sincérité de l’expression qui, à peine a-t-il pris conscience de son geste sur la toile, se trouve aussitôt compromise, appelle une relance, un nouveau geste?
Je disais tout à l’heure qu’en jouant avec les archétypes, Combas leur faisait avouer une vérité qu’ils portaient en eux tout en la dissimulant. En traquant les figures dans les moindres recoins du tableau, en fouillant les corps dans tous leurs fantasmes, ils nous fait comprendre qu’une vérité reste toujours à traquer derrière une vérité. Un voile reste toujours à lever, ainsi Le Dieu à six têtes^porte un pagne qu’il faut soulever pour découvrir…
L’avidité picturale de Combas ne peut se mesurer qu’à la rapacité jamais satisfaite d’Ubu. Il faut dire que l’art n’en finira jamais de remonter à l’origine spontanée de l’art.

Catherine Millet

Combas
par
Ben

Je n’ai plus envie d’écrire sur Combas. Tout d’abord parce que je n’aime pas me répéter, qu’il n’y a pas trente choses à dire sur un artiste, et que ce qui est à dire peut être dit en peu de mots, sans gonfler la baudruche.
D’ailleurs c’est ce qui a porté tort à Support-Surface qui nous a gonflé le mou en nous faisant croire qu’il y avait autre chose dans leur oeuvre que ce qu’il y avait à voir aux murs (Devade, Cane).
Puis je n’ai non plus pas envie d’écrire sur Combas dans la mesure où je suis un petit mesquin et que je râle parce que Combas m’a promis une pièce qu’il ne m’a pas encore donnée et aussi parce qu’ils ont demandé un texte à Catherine Millet qui va être payée et que moi je le serai pas*.
Mais je n’ai non plus pas envie d’écrire sur la peinture car tous les produits d’art bons ou mauvais sont sur un plateau et m’ennuient.
Je ne vois plus aujourd’hui de raisons de considérer la peinture plus importante que la cuisine ou le jardinage. Si non pour gagner ma vie.

Mais puisqu’il le faut parlons de Combas.

Combas est de Sète. Intéressé par le problème de l’identité régionale je me suis dit lorsque je le rencontrais pour la première fois : voilà un vrai Occitan. A l’accent on ne pouvait pas se tromper. Mais Combas m’expliqua que depuis très longtemps la ville de Sète était peuplée d’émigrés Espagnols et d’Italiens du Sud qui ont l’accent Occitan mais ne sont pas Occitans. Les Occitans sont autour de la ville, dans la vigne qui arrive presque jusqu’aux portes. Sète, m’expliqua-t-il, est une ville dure du Sud avec des petits groupes de rock, avec du chômage, avec un Brassens qui ne parle pas la langue et qui est parti chanter au Nord. Je vois donc Combas quittant Sète pour les Beaux-Arts de Montpellier Là, on me dit qu’il était un très bon élève « écoutant le prof jusqu’au bout et essayant de faire consciencieusement ce qu’on lui demandait de faire ».
FAUX : C’est les copains de Ben (des profs) qui lui mentent parce qu’ils sont jaloux.
Combas ne cache rien ou peu. Son discours touche presque à l’art brut, à a naïveté. Il ne triche pas.
Tout au plus met-il certaines opinions en sourdine.
Combas est parano, et quelquefois inutilement parano. Constamment angoissé à l’idée qu’on le copie. On a beau lui dire de ne pas se faire de soucis car de toutes façons c’est le meilleur, ça l’angoisse quand même.
Combas n’est pas un ange, il est à l’image de tous les artistes, grands et petits, capable de mesquinerie, d’angoisse, et d’amour.
J’aime la peinture de Combas car elle est plus vivante, spontanée, personnelle, que la moyenne des produits qui nous sont présentés dans ce retour à la figuration aujourd’hui.
Sauf pour quelques redites rares, la plupart de ses tableaux racontent une histoire, une haine, une angoisse.
C’est Combas face au tigre, face aux artistes, Combas face à la télé, Combas avec la pute.
Chaque tableau est une histoire à part, et certains chef-d’oeuvres sont de véritables univers mentaux différents.
Soyons net et clair, en défendant Combas cela veut dire que je prends position pour la Figuration Libre.
Ce qui implique une position théorique par rapport à une idée de l’art, et cela mérite quelques mots. En fait, le problème que pose ce retour à la Figuration en 1979,est celui de la remise en question de la nouveauté.
Faut-il toujours courir après la nouveauté?
La nouveauté est-elle nouvelle?
Dire non à la nouveauté à tout prix, n’est-ce pas nouveau?
Bref la Figuration Libre concerne les limites du nouveau.
Ceci dit, il y a des jours, j’en doute.

Ben
*C’est faux, il a été payé à sa demande 20% de moins qu’elle.

P.S : Quoi que certaines en disent je ne crois pas que Combas puisse être considérer comme un phénomène de mode qui passera. Il restera !

Cher Pailhas,
Peux-tu ajouter si ce n’est pas trop tard, ce PSS à ma préface :
PSSS Je viens de re-lire mon texte. Et je le trouve un peu « Ben-aigri ».
Je viens aussi de regarder des photos de Combas et quelques catalogues où il figure. Une chose me frappe : chaque tableau est individuel. Je l’ai déjà dit mais je me répète car c’est en cela que Combas est singulier dans l’art contemporain, ce qui ne veut pas dire qu’il soit naïf.

Il est tout à fait à son aise dans cette jungle de rapports de force qu’est l’art contemporain. Et je dirais même qu’il sait où il va et qu’il sait ce qu’il vaut.
Plus que les marchands et les critiques qui l’entourant.

Robert Combas
par
Brigitte Cornand

Lorsque j’ai rendu visite à Robert Combas, il venait juste de s’installer dans son nouvel appartement dans le Marais. Quel changement! Ce n’était plus les chambres de bonne noires où il avait l’habitude de « travailler son style » mais un somptueux duplex. Un espace très chic plein de lumière. son atelier, au premier, l’ancien petit salon donne sur le jardin. Juste un soupçon de désordre. Peu de livres, des 45 tours de rock sur les rayonnages lambrissés. Robert Combas s’active. Il prépare son exposition pour l’ARCA : quatre toiles en même temps. Des saoulots du samedi soir, l’air hilare jouxtent avec les aventures d’un homme casqué et la veste épinglée de Ketty sa copine. Par terre : un homme grenouille, en lainage douillet se bataille avec des piranhas.
Robert, la radio plein jus, fume cigarette sur cigarette.
« Enfin ma maison n’est plus une piaule à rats » me dit-il avec satisfaction. Habillé sans effet, jean, tee-shirt barbouillé de peinture et espadrilles, il tourne dans la pièce comme un ours en cage. Les pots de peinture acrylique, posés sur le parquet à la française. Robert Combas parle sans me regarder, comme s’il avait besoin de se concentrer énormément. « La seule chose que je n’ai pas réussi à maîtriser, c’est de bien m’exprimer » dit l’artiste modeste.
J’aime bien la façon dont parle Robert. D’abord pour sa musique, avec son accent de Sète et puis pour son « parlé » imagé, à ellipse. Je vous défie de comprendre Combas du premier coup, lorsqu’il se lance sur sa peinture, tant il est brouillon dans sa tête. Tant il va vite, dans ses enchaînements d’idées!
Mais ses fautes de Français, sa mauvaise orthographe, ses idiomes méditerranéens l’ont aidé à alimenter sa peinture. Ses personnages caricaturés à outrance sont tous dotés de poèmes, formules magiques, signatures arabisantes du maître. Tous, des gens ordinaires, plus ou moins laids, plus ou moins bien habillés. « Tout ce qui est laid est beau dans la peinture », dit Combas. Ses créatures viennent de la culture populaire du peintre, qu’il la puise à la télévision, dans la musique rock, la bédé ou la vidéo. Parmi ses portraits favoris, on retrouve souvent Catherine Brindel, artiste aussi.

Les conquêtes de Napoléon batifolent sans problème avec les événements contemporains de Beyrouth. Combas mélange tout, Combas n’a peur de rien. Depuis l’exposition l’ Air du Temps à Nice, Robert Combas a pris de la force dans son coup de pinceau. Tant mieux. Entrons dans son univers.

Brigitte Cornand

Graffitis :
Ce furent mes premières grandes toiles avec des matériaux de récupération (carton, affiches, etc…). De la peinture jetée violemment et du grattage. Aux Beaux-Arts de Montpellier comme nous manquions de moyens, je prenais tout ce qui me tombait sous la main. Trois pots de peinture et une planche, et j’essayais de faire un tableau.

Batailles :
Ce sont les premiers dessins que j’ai faits sur des brouillons au stylo bille dès mon enfance! Ce fut plus tard, mon côté « zone », quand j’ai fait des études : en fait c’est ce que j’ai fait de mieux à ce moment-là. Les Batailles, c’est un sujet riche, exploitable à long terme. Elles ont un côté violent, enlevé qui me plaît. Un air expressionniste très coloré. J’en ai représenté quatre, pas plus. Il n’était pas question de répéter sans arrêt la même chose même si c’est un sujet d’actualité constant. C’est aussi un symbole. Ça représente les luttes dans la vie de tous les jours et tous les coups de couteaux qu’on reçoit quand on fait quelque chose de bien.

Triangles :
Mes bons génies, ils sont un peu magiques. Les Allemands les ont comparés à leurs lutins, les gnomes.
Je les ai inventés aux Beaux-Arts, juste après mon bonhomme « Tué ». A l’époque, je tournais tout en

dérision, j’avais envie de faire de la géométrie, alors je mettais des têtes triangulaires sur les bonshommes, pendant les heures de croquis. Mes Triangles ont quelque chose de « saint ».

Chaussures :
Chacun a ses fantasmes. J’aime bien le côté vulgaire de la chaussure. Celles que je regardais il y a sept ou huit ans : des mocassins très durs que certains types portaient avec des jeans, et des talons compensés, genre chaussures orthopédiques. (Maintenant il n’y a que les putes qui en mettent). On peut juger les gens sur leurs chaussures, c’est aussi la période rock and roll à la fin des hippies.

Vêtements :
Maintenant, je me lance dans les « habits exposables ». Pas comme Castelbajac qui fait peindre ses robes par des artistes. C’est une oeuvre d’art, une vrai peinture. Je fais par exemple un pantalon peint sur un vrai pantalon. Une veste peinte sur une veste, etc… J’avais envie de me moquer un peu de la mode bat cave, punk ou du genre thriller Michaël Jackson. Par ailleurs, dans mes toiles, je donne beaucoup d’importance au vêtement. Un type aura un pantalon court, une fille, une mini-jupe bien moulante. Je retranscris ce que je vois dans la rue. Je suis influencé par des choses normales.

Animaux :
Il y en a deux sortes. D’abord les animaux réalistes : mon chat sur le fauteuil, les piranhas de mon dernier tableau. Et puis il y a les autres, les « fétiches ». Ce sont les jouets de Ketty, ses nounours, les gri-gri comme il en existe en Afrique, en Australie. Malcolm Morley, le précurseur de la Figuration Libre mondiale a bien mis des cow-boys et des indiens dans un pot de fleurs!

Sexe :
Les fantasmes sexuels titillent tout le monde. Moi, je les jette sur mes toiles. Bien sûr, les nanas ne sont pas terribles, ce n’est absolument pas une vengeance contre les femmes. Je fais pareil pour les mecs.
J’aime peindre les grosses femmes, ou des types comme mes « ibrougnes » (ivrognes), les ouvriers du samedi qui bouffent et boivent tant qu’ils en font péter leur braguette! Franchement, va donc faire un tour dans un camp de nudistes, tu comprendras tout de suite que nous ne sommes pas très sexy Ça fait plutôt boucherie. Et puis, il y a aussi tous les petits dessins de cul que je fais froidement, un exercice appris aux Beaux-Arts, comme un jeu. Je dessine une main, et pour m’amuser j’ajoute une bite dedans.

Ecriture :
Des fois, je m’embrouille tellement quand je parle à quelqu’un que j’essaye d’écrire. Le résultat est le même : au bout de cent pages, je ne sais plus où j’en suis! A l’école, j’étais complexé. Je faisais des fautes d’orthographe, et j’écrivais mal. Avouons-le, j’étais du genre « élève feignant qui peut mieux faire ». Alors j’ai décidé de mettre ça au profit de la peinture, ajouter des textes dans mes tableaux : phrases mal écrites avec des fautes d’orthographe (parfois corrigées), mots oubliés parce que je suis dans la lune. J’écris parfois n’importe quoi, c’est original.

Titres :
Ils n’ont aucun rapport avec mes tableaux. C’est l’occasion de développer mes textes, des petits poèmes rigolos qui ne veulent rien dire. Exemple : « Catherine ma choune belle, couscous, paëlla … ». Où un simple mot qui fait du bruit, un son quand on le prononce : « Pleft », que j’ai inventé, c’est mieux que le « sob », ou le « beurk » dans la bédé! Et puis il y a ce que j’appelle les mots gratuits, livrés avec le tableau le cadeau du paquet de Bonux, comme lorsque je donne trois toiles de 11.500 F à Yvon pour 10.000 F, ça fait un compte rond!

Signature :
Il y en a des tas. Comb’s, Combat, Combas. Il y a même eu Combas Vision, inscrit dans un petit rond à l’époque où j’avais formé le groupe « Le Bateau », avec Hervé Di Rosa et Ketty. Un groupe de graphisme et de peinture. Après, tout a été faussé, la critique a dit n’importe quoi sur nous… Quand je pense qu’il n’y a pas eu un seul article de fond sur la Figuration Libre…

Dessin :
J’en faisais des tonnes aux Beaux-Arts de Montpellier, en cachette. Le dessin, c’est magique. Si je n’étais pas peintre, je sais que je dessinerais en même temps que mon métier. Le dessin, c’est une obligation sans faire exprès.

Figuration :
C’est d’abord pour compenser mon envie de me lancer dans l’abstraction et surtout l’émotion que j’ai eue le jour où l’un de mes profs m’a fait découvrir un livre sur un peintre publicitaire africain. Un naïf. Ça m’a tellement plu que je lui ai pompé des trucs. Après j’ai fait ma propre tambouille.

Imagination :
C’est mon point fort, j’en ai à revendre. D’ailleurs dans chacune de mes peintures, chacun de mes personnages est un tableau. Je n’ai même pas besoin de partir en voyage ou de prendre l’avion pour trouver des idées. La télé, les jeux vidéos, me suffisent et j’achète toutes les revues, tous les journaux.

Bédé :
Je n’y coupe pas dans mon travail. Et puis ça m’a toujours plu. Quand j’étais gosse, je lisais « Capitaine Swing ». C’était beaucoup plus populaire que les comics américains qu’on nous sert aujourd’hui. Ça c’est du luxe! Mais ça fait rire les dessinateurs (qui sont presque des artistes). Moi, C’est Dionnet qui me fait marrer dans « Métal Hurlant ». Quand il n’est pas content il le dit comme moi.

Atmosphère :
Quand je suis arrivé à Paris, je me suis senti beaucoup plus Sétois que de coutume. Peut-être parce que je viens d’une ville où on parle beaucoup et qu’ici, je n’ai jamais réussi à me lier aux gens. J’ai ainsi gardé mon accent. Et le seul endroit où j’allais me balader au début, c’était Barbès. Le faux or, les montres volées, la pacotille, son air arabe me plaisait. La calligraphie de l’Islam c’est mieux qu’un Pollock! Je me retrouvais un peu chez moi dans cette ambiance méditerranéenne.

Moralité :
Des gens comme mon père se disent moraux, parce qu’ils sortent de belles phrases. Moi, je ne suis pas moral, mais je fais comme si je l’étais. Je fais des caricatures, je montre les gens comme ils sont. Il n’y a que Soeur Thérèse qui tient la rampe.

Honnêteté :
Dans une peinture, sans son côté mystique, l’oeuvre est un exercice honnête. Mais en réalité nous avons tous été malhonnêtes au moins une fois, que ce soit, les marchands ou les artistes. Les mauvais peintres, qui font du show bizz. Il n’y a pas de jugement de qualité. Et nous sommes estimés en dollars.
Tiens, c’est drôle, des types m’ont dit que je n’étais pas vendu assez cher.

Propos recueillis par
Brigitte Cornand

Le général
et les
profiteroles
par
Jean-Louis Marcos

Le général finissait ses profiteroles.
En regardant ses médailles je songeais aux lointaines aventures :
les mangues trop mûres, la jonque d’Aston-Martin, la peau safranée des femmes de l’océan Indien, l’Orient
et le port de Saïgon où flottaient les adolescents égorgés.
C’était un bel homme le général
Il avait du poil dans les oreilles.
Bien élevé aussi : il pétait mais uniquement
lorsqu’il était seul et en plein air.
C’était aussi un bel imbécile mais bien peu de gens le savaient
parce qu’il était historique.
Être un bel imbécile historique est un statut rare
et assez artistique.
Combas l’a bien vu dans son roman en couleurs.
Oui, il aurait pu faire une statue du statut. Il aurait pu graver la plaque : « Au Libérateur des foules de pac-man qui crient
à boire! ».
Au lieu de l’éréction du monument on voit celle de l’amant
d’Aston-Martin.
Transformé en fleur il bande une dernière fois dans le verre à dents.
Aston-Martin a mis ses bas de dentelle pour dire des choses douces
à l’homme fleur qui va mourir.
Après le général bombardera sur son avion Meccano.
Tous les généraux se prennent pour De Gaulle ou Vercingétorix.
Puis il brandira sa science de la guerre contre la punkette
qui chante : « … vue l’évolution des moeurs ce jeu sera peut-être
célèbre en l’an 2000… ».
Est-ce bien là le travail d’un général?
Pourquoi les généraux aiment-ils presque toujours les profiteroles
et presque jamais les punkettes?
C’est une de