« C’est de la vitalité de l’art profane que doit naître un nouvel art chrétien » soulignait le père Couturier. Qu’il procède de la temporalité ou de la spiritualité, l’art veut répondre aux mêmes questionnements sur les fondements de l’être, le destin de l’individu, les angoisses existentielles, le cycle de la vie et de la mort. Voilà pourquoi dans notre société sécularisée et dans l’art le plus contemporain, le signe de l’Esprit Saint, la rémanence du mystère, la persistance du sacré restent présents. Des artistes laïcs renouvellent le langage religieux à travers leurs engagements personnels qui peuvent être synonymes d’un véritable engagement spirituel.
Dans son échelle des valeurs humaines, Robert Combas met souvent en avant dans son œuvre un lien vertical, un rapport direct entre le ciel et la terre, entre le religieux et le profane. Ses créations s’inspirent parfois des origines mystiques, sacrés, magiques ou métaphysiques de l’acte créateur pour atteindre des territoires historiques, critiques ou oniriques. Il donne la première place à un idéal fraternel dont la noblesse d’inspiration, la simplicité et la ferveur sont semblables à celles de ces premiers rhapsodes chrétiens qui n’avaient au monde que leur épée et leur guitare pour donner à entendre la Bonne parole.
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La Bible et les Saints
Sur les conseils de son galeriste Yvon Lambert, l’artiste proposera une relecture décoiffante de chefs-d’œuvre exposés au Louvre. Va suivre en 1991 une double exposition La Bible et Les Saints toujours chez Yvon Lambert et à la Galerie Beaubourg où l’inspiration de Combas se ressource à des classiques traditionnels : l’Ancien Testament et La légende dorée de Jacques de Voragine, moine dominicain du XIIIe siècle qui raconte la vie des Saints. Sur les cimaises se succèdent Saint Georges terrassant le dragon, Saint Luc peignant la Vierge à l’Enfant, Saint André… Adam et Eve, Le Buisson Ardent, Le Sacrifice d’Abraham, L’ivresse de Noé, Le Déluge… C’est surtout avec l’immense Calvaire de 450 x 407 cm que le peintre se place dans la grande tradition de l’histoire de l’art religieux après Masaccio, Titien, Tintoret, Grunwald, Rubens… et que dans son illustration ponctuelle du récit des quatre Évangiles, il concrétise plusieurs trouvailles stylistiques originales. Cette présentation, la plus importante de tout le cycle de la Passion occupe dans son œuvre une place privilégiée où fidèle à sa doctrine picturale de la figuration, il a voulu faire « du bon, du vrai, de l’habité » selon ses propres termes.
La toile est nettement structurée par trois larges bandeaux aux couleurs symboliques qui se succèdent de bas en haut : sur la terre coule le rouge du sang de la Passion ; une grande vague verte où nagent des poissons symbolise la nature et l’espérance ; le bleu du ciel, évoque la foi et la Résurrection. Par endroits, il devient noir et comme troué en son centre par des flammes de feu au soleil couchant. Tout le paysage est couvert de dégoulinures comme s’il pleuvait des larmes colorées.
Trois hautes Croix se découpent sur ce fond polychrome avec Jésus au milieu entouré des deux larrons. Le Crucifié est représenté barbu, les yeux clos, le corps amaigri et pathétique. Les bras grands ouverts, la tête penchée sur le côté, l’Homme de Douleurs a le visage tranquille, serein, méditatif, résigné et suscite la compassion. Autour de son bassin, le périzonium dessine deux larges courbes qui laissent paraître le haut du pubis. Ce qui pourrait passer pour une présentation osée et comme blasphématoire rappelle avant tout la sculpture du Christ nu, humain et sensuel du fameux Crucifix de Michel-Ange dans l’église de Santo Spirito à Florence. Chez Combas, la minutie du rendu réaliste laisse voir sur le bois de la Croix, en plus des stries, comme les traces des empreintes digitales des bourreaux qui l’on dressée. Si le bon larron, chauve et barbu, a lui aussi les yeux clos et partage la souffrance de Jésus, le mauvais larron, les yeux grands ouverts détourne son regard pour bien signaler qu’il se désolidarise de ce qui se passe. Au pied de la Croix du Christ, une femme est agenouillée. Son manteau marron, de la même nuance que le bois, laisse apercevoir son pied avec lequel elle touche l’ombre de la Sainte Croix comme un signe d’union et de partage dans la souffrance. Sous son voile, elle laisse entrevoir un visage en pleurs, décomposé par la douleur. Avec ses longs cheveux déliés pleins de sensualité, on reconnait Marie-Madeleine. Cette chevelure gris-bleu qui l’enveloppe presque en entier est la couleur de l’affliction, celle précisément que porte la Vierge pour le deuil de son fils mort sur la Croix.
Au moyen de procédés plastiques efficaces, Combas exprime le sentiment de l’action dramatique qui s’est accomplie. Il s’agit vraiment d’une scène historique et religieuse dans laquelle s’inscrit toute l’histoire de Jésus. On peut y lire la Rédemption, c’est à dire le rachat du genre humain par son sacrifice sur la Croix en tant que Christ qui a permis la rémission des péchés et donne aux hommes l’espoir d’une vie éternelle en Dieu. Pour dévoiler le mystère de son être il fallait sa mort aux yeux de tous. En faisant aller vers les spectateurs les ombres portées des Croix, Combas par une trouvaille perspective hardie, les met en relation directe avec cette agonie divine qui se déroule sur le Golgotha. Ce Calvaire incite les croyants à la prière, tous les spectateurs au recueillement. Le sort du Crucifié ne laisse personne indifférent car il s’agit de ce moment où « Jésus n’est pas homme, il l’a été », ce moment où comme l’écrit avec sa fougue André Malraux dans La Métamorphose des Dieux : « Le peuple fidèle prie en lui le Dieu vivant dont les mains douloureuses ont remplacé la main terrible, et l’art qui manifestait l’Éternel manifestera désormais toutes les présences victorieuses de la mort. »
Une confusion bien ordonnée :
Henri Focillon, un des pères de l’histoire de l’art rappelle en substance qu’il existe deux sortes de peinture, celle qui veut donner l’illusion de l’espace modelé en profondeur sous la lumière du soleil et celle qui construit sa propre lumière qui n’est pas celle de la nature et utilise un espace plat faits d’artifices, de transparences et de rehauts. Dans une tradition moderne qui irait des Primitifs du moyen âge jusqu’à l’Art Brut, Combas s’inscrit délibérément dans cette seconde catégorie.
Son imagination inépuisable s’exprime dans son monde d’images, de symboles, de couleurs et de rythmes qui semble anarchique au premier abord. Pourtant, fruit du plaisir du geste, l’amoncellement dans ses tableaux d’éléments de provenances multiples et la répétition de situations exceptionnelles ne suscitent pas un sentiment de confusion. Le désordre manifeste dévoile des agencements cachés. Avec une virtuosité éblouissante, des lacis de correspondances et d’assemblages de réseaux révèlent des personnages et des situations identifiables dans leur profusion enchevêtrée. Ces myriades d’entités qui s’encastrent comme les pièces d’un puzzle rapprochent son œuvre à la fois des miniatures persanes remplies d’un tohu-bohu de vie grouillante comme des grotesques d’Arcimboldo composés de plantes, d’animaux, d’objets amalgamés. Essentielle et tapageuse, la couleur s’impose et remplit tout l’espace de la toile ne laissant aucun vide. Le graphisme qui l’accompagne, très caractéristique, immédiatement identifiable, reste libre et spontané par un trait-contour noir qui délimite les figures. Ce dessin qui donne vie à des formes closes, comme le plomb d’un vitrail, entoure systématiquement la couleur et donne toute sa force originale à chaque détail des productions.
Un peintre poète
Le rendu d’émotions fortes, sérieuses et moins souriantes, avec des textes et des œuvres de plus en plus travaillés, caractérisent les séries de toiles comme La guerre de Troie ou Le Paradis Perdu inspiré par John Milton. Avec la chute des anges rebelles, l’apparition d’hommes qui tombent, Combas renouvelle son iconographie autant que sa stylistique dans des tableaux-séquences composés d’une succession de plusieurs dessins collés les uns à côté des autres et des personnages « réversibles » comme des cartes à jouer. Après avoir redécouvert les vitraux des cathédrales et l’art des icônes, durant les années 1990, il a entamé un cycle qu’il nomme « Période spirituelle au premier degré ». Il prolonge son aventure esthétique avec des toiles sur fond noir comme La nuit obscure où les couleurs semblent sortir du cosmos pour dégouliner sur les figures. Ses recherches aboutissent à une importante exposition à San Francisco et à un travail sur Toulouse Lautrec exposé au musée d’Albi puis à la création en 1994 d’un tableau majeur de 2 x 5 mètres : L’autiste dans la forêt de fleurs, hommage détourné aux champs de blés et tournesols de Van Gogh. Comme souvent chez lui, ce chef d’œuvre pictural se double d’un poème émouvant :
« Le Fou triste aime la vie mais il est autiste et n’arrive à converser qu’avec sa forêt de fleurs dont il est le roi. Ses sujets l’honorent et le décorent de leurs pétales de toutes les couleurs et leurs parfums illuminés tirent des boulets de canon d’odeur luxuriante. Le fou triste est au paradis mais il est autiste quand pourra t-il retrouver la vie qui s’en va à mesure ? Il sait qu’il est sur la bonne voie. Déjà la terre lunaire a disparu pour faire place à toutes les fleurs de la création mentale. Combien de temps encore va t-il attendre sans pouvoir parler, chanter ou rire ? Déjà, il a supprimé l’hiver et l’automne sur son calendrier cervical. »
Le Chemin de Croix :
https://www.combas.com/oeuvres/skill-type/chemin-de-croix-combas-kijno/
Cette période méditative est marquée par la réalisation entre 2003 et 2005 d’un Chemin de Croix en collaboration avec son ami, le peintre Ladislas Kijno. Acteur du renouveau de l’art sacré, Kijno en 1949 à la demande du chanoine Devemy et du père Couturier avait peint La Cène dans la crypte de Notre-Dame-de-Toute-Grace de l’église d’Assy puis en 1999, il a produit le vitrail de la rosace de la Cathédrale de La Treille à Lille. Il propose la composition de l’architecture des 14 stations du Chemin de Croix avec la représentation de ses grands monolithes abstraits, tandis que Robert Combas les retravaille et les rehausse de sa figuration débridée.
Les figures solennelles de Jésus, Ponce Pilate, Véronique, la Vierge, les soldats romains… sont faites d’une large marqueterie de tons vivaces séparée par un trait noir ou blanc. Les tons brillants de glacis, aux nuances lumineuses et éblouissantes semblent découpés à la manière de tesselles, puis reconstitués comme les feuilles de verre d’un vitrail. Dans les visages composés de méandres, formes et contre-formes s’enchevêtrent à la manière des pièces d’un puzzle et créent à l’intérieur de la composition tout un nouveau magma d’images. Le pinceau souligne de traits graphiques nerveux les articulations et les muscles des protagonistes. Les yeux rapprochés, haut placés, très grands, parfois énormes éclairent les visages. Les nez, de face, de trois-quarts ou de profil, sont figurés par de larges lignes verticales et des narines dessinées en forme d’ovales. Au niveau des pommettes, les joues sont colorées de taches et richement tatouées à l’encre noire. Couleur de cinabre, les bouches dessinent des traits curvilignes qui s’arrondissent en cœur et laissent par moments voir des dents agressives. Les tons sont toujours riches, vifs et hardis : pourpre violacée, dominantes d’ocre jaune et d’ocre rouge, de noir et de blanc, de vert acide, de bleu profond, d’orange psychédélique. Formellement, les œuvres étroitement associées à la mort, passent du rouge de la Passion au bleu de la Résurrection. Tel un maître verrier Combas donne l’impression d’utiliser différentes plaques peintes, de les réunir par un réseau de plomb qui assure la cohésion à l’ensemble et souligne le dessin, tandis que Kijno, à coup de spray aérosol et de papiers froissés, apporte du volume et du relief à l’ensemble.
Avec la fraternité de cette réalisation à quatre mains, sa chair, son sang, ses entrailles, son sens du religieux, ce Chemin de Croix constitue un hymne vertigineux à la peinture comme à la poésie lorsque Combas écrit : « Lumière blanche. Souffrance du Christ, souffrance de moi, souffrance de toi, souffrance de nous. Dégoulinage de vie, de sueur et de sang. Le ressentiment du corps avant la mort. Dernières rencontres avec les gens : les proches, les autres et aussi les méchants. Accrochement sur la croix ou sur le T, c’est suivant. Derniers instants longs et infâmants. Pleins de liquides se mélangeant. Arrêt du cœur humain mais pas du cœur sacré. Très bientôt, c’est la nuit. La Pietà qui reluit Triste comme la suie. Puis, c’est l’enfermement du corps par la pierre scellée Dans la grotte du futur corps transcendé. »
Ce grand cycle propose une méditation sans concession ni superflu sur les questions essentielles de l’existence : le destin de l’homme, le sacrifice, l’amour, la place du divin… Ce Chemin de Croix pour les chrétiens, c’est un parcours qui les prépare à une expérience de participation à la nature divine : c’est le véritable sens du sacrifice de la croix car « celui qui veut marcher derrière moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (Mt XVI, 24). Pour tous, c’est une œuvre capitale de ce début du XXIe siècle.
Le Carré Sainte Anne :
Robert Combas, sous ses allures affirmées d’adolescent toujours rebelle maintient avec constance ses liens avec le sacré. Il réalise en 2014 une importante installation dans l’église néogothique du carré Sainte Anne à Montpellier où il présente sa série La Mélancolie à ressorts. Dès l’entrée, la pureté d’une sculpture monumentale noire et blanche, une Venus-Isis Tatouée, donnait le ton. Cette grandiose idole de polyester portait, perché sur sa tête, un bateau aux voiles frappées par le vent. A l’image du Colosse de Rhodes, elle se dressait comme une vigie devant un large dessin d’Apollon pleurant les cordes cassées de sa lyre. Ce qui frappait dans la nef du sanctuaire, c’était la blancheur immaculée des murs recouverts d’un papier peint imprimé par l’artiste de petits crucifix qui dessinaient un carrelage mystique. Le chevet était envahi de ces mêmes motifs mais réalisés en volume par l’assemblage de deux pinceaux qui formaient la croix avec un tube de peinture pour incarner le Christ. Les murs latéraux s’ouvraient par deux grandes jarres dessinées au pinceau noir, nouveaux bénitiers, symboles de l’eau d’un baptême moderne pour l’art et la création. Plus loin, le dessin de la tête d’un mouton sacrifié semblait trôner avec l’évidence d’une Vanité de Picasso grâce à un bel effet tridimensionnel dû à la grisaille. Des représentations de musiciens géants avec leurs tambours ponctuaient le rituel de cette procession faite de notes blanches, noires et argentées. Belle comme l’ange de Reims, une Vénus rieuse était nichée derrière une colonnette face au portrait en cerné noir d’une majestueuse tête de Moïse. Ses œuvres -dessins, peintures, sculptures- dominées par le noir et blanc que le peintre a voulu en parfaite résonance avec la religiosité du bâtiment donnaient l’illusion de bas-reliefs nichés dans les murs de l’église. Les personnages religieux simplement dessinés, ombrés, tatoués à la façon de Matisse pour son Saint Dominique à la chapelle du Rosaire de Vence étaient là comme légèrement effleurés par la danse des touches de couleur de la lumière venue à travers des vitraux.
Projet des vitraux d’Evry :
Au début des années 1990, lors de la construction de la Cathédrale d’Evry par Mario Botta, Robert Combas a proposé plusieurs projets de vitraux. L’architecte suisse conduit par la pensée de Saint Augustin : « Dieu est semblable à un cercle dont la circonférence est partout et le centre nulle part » a produit un bâtiment extrêmement sobre à l’image des constructions byzantines de l’Italie du Nord. La forme du vitrail fut dessinée par Botta lui-même sur le principe d’un arbre dont les branches découpent les quatre fenêtres dans une demi-lune. Si pour différentes raisons d’ordre « politique » le projet de Combas n’a pas pu être honoré, il est intéressant de se replonger dans les études du maitre. Dans sa tradition baroque, il avait fait le choix d’illustrer ces grandes lucarnes en présentant le thème de la Résurrection : le Christ lors de la descente aux Enfers, l’apparition de Jésus à Marie Madeleine, puis aux Apôtres et enfin aux Pèlerins d’Emmaüs. Sa stylistique témoigne d’une connaissance approfondie de l’iconographie sacrée et d’un réel intérêt pour le travail des maîtres verriers du moyen-âge. Ces artisans considéraient que le vitrail devait être une véritable tapisserie et incorporaient les figures au support.
C’est ce même effet qui a été délibérément recherché par Combas. Comme au temps des enluminures et des fresques romanes, il ne creuse pas l’espace derrière ses figures. Il l’annule par l’utilisation décorative de sa drôle d’écriture, par des fleurs stylisées, des motifs géométriques, de grandes bandes calligraphiées. L’anatomie des personnages est stylisée dans une tradition sommaire qui évoque à la fois les fresques de Saint-Savin-sur-Gartempe, de Saint-Martin de Vic, de Saint-Nicolas de Tavant… autant que la modernité des individus de l’Hourloupe de Jean Dubuffet. Par cette grande véhémence chromatique, pleine de fraîcheur, il jouait avec la transparence de la lumière pour affirmer la cohésion de sa création. Dans ce cycle Combas reprenait la valeur pour ainsi dire théologique du vitrail donnée par l’Église au XIIe siècle comparant les verrières aux Prophètes et aux Apôtres en tant que « lumière de la grâce, cristal de la foi ». Quand il illustre de façon explicite le Texte Saint, l’artiste se réfère à la formule de l’historien d’art Émile Mâle pour qui les images médiévales sont « la Bible des illettrées ».
L’art du portrait :
https://www.combas.com/blog/labyrinthe-de-tetes-exposition-de-robert-combas/
Avec son Labyrinthe de têtes, produit pendant le confinement entre 2020 et 2021, avec plus de cent visages, Combas fait renaître l’art du portrait, un des sujets éternels de la peinture. Il renouvelle avec splendeur les assises de son art par la disparité des ethnies présentées, l’éclatement des formes, le jeu sur les vues de face et de profil dans un même visage, les trouvailles iconographiques et stylistiques marquées par un renouveau du dessin et une polychromie éclatante. Ses visages s’inscrivent dans la lignée des déformations géniales de Picasso, Giacometti ou Chaissac et signent de façon magistrale sa modernité toujours renouvelée car ses figures humaines ne se contentent pas de capter une banale ressemblance. Avec sa frénésie d’aller toujours de l’avant, l’artiste nous entraine dans son monde mental et nous fait adhérer à son mode fictionnel en désorganisant, désarticulant, déconstruisant la finalité même du portrait. Il décrypte ce qui se cache derrière ces visages en les recomposant, en suggérant derrière l’expression des modèles, la psychologie humaine, la structure même des sujets et nous livre ainsi ce qu’ils sont, ce qu’ils nous disent de nous-mêmes et surtout ce que l’artiste dit de lui-même à travers eux. Par-là le peintre nous dévoile son rapport à l’altérité, sa relation personnelle à sa propre image dans le regard de l’autre et pose aussi la question de la position de l’homme dans la foule, de l’individu face à l’anonymat, de l’artiste devant son public.
Le vitrail du Saint Dégoulineur :
Pour compléter cette présentation du portrait, il faut particulièrement s’arrêter sur un vitrail, « Le Saint Dégoulineur », une pièce en verre antique et plomb de 135,5 x 79 cm, peint à la grisaille, réalisée à l’atelier Loire de Chartres en 1992. A son propos, l’artiste a écrit : « Le vitrail, ça fait un moment que je l’attends car c’est l’évidence même que sa technique correspond entièrement à ma peinture. C’est un essai, mais j’ai voulu quand même en faire une œuvre entière. Alors Bruno Loire l’a portée sur une échelle pour parvenir à une des fenêtres hautes de mon atelier pour voir vraiment la vérité de la lumière, et là, le vitrail marchait impeccablement… Le vitrail, c’est la lumière. Il vit avec la lumière, la lumière vit avec lui. C’est clair, c’est saint, c’est divin… » L’œuvre présente une diversité de procédés et montre toutes les variations créatrices mises en place par l’artiste et réalisées par l’artisan. Elle s’intitule très exactement : Saint dégoulineur solitaire envitraillé avec entourage de noir avec traits en sortie de lumière. Ce saint quelque chose malgré sa mystique planante combinée à son souffre douleur, resplendit de mille feux à la lumière de Dieu. C’est son aura qui brille de tous les traits des pores de sa peau. Et vive Jésus Christo.
Par ce titre Combas illustre encore son goût de la farce, de l’extravagance, du caricatural mais aussi du sacré. Les yeux du supplicié sont grands ouverts, immenses, au milieu d’un visage grillagé de sang. Avec humour, une auréole jaune éclatant semble coiffer le Sauveur d’une casquette. Ce Christ outragé que la couronne d’épines ensanglante évoque plus particulièrement, parmi toutes les représentations célèbres, la figure grimaçante du Ecce homo de James Ensor et l’image de La Sainte Face de Georges Rouault dans son fameux Miserere. Combas a construit son vitrail à la façon traditionnelle d’un retable et comme le ferait la prédelle, le personnage central est encadré par des figures gravés dans le verre : la colombe du Saint Esprit entourée du soleil et de la lune, Marie Madeleine pénitente qui répond au Christ crucifié et deux archanges. Se détachent aussi l’image du Sacré Cœur ainsi qu’un poisson stylisé, symbole des premiers chrétiens.
La notion d’image, comme le souligne en substance le médiéviste Jérôme Baschet, est au cœur de l’anthropologie chrétienne, puisqu’elle définit le rapport entre Dieu et l’être humain, créé « à son image et à sa ressemblance » (Genèse 1, 26). Dans un sens spirituel, c’est l’âme qui porte l’image de la divinité, c’est pour cela qu’on nomme le Créateur le « bon imagier ». Robert Combas est un des membres éminents du monde de l’art du XXIe siècle, c’est le maître de la figuration reconnu dans son domaine par ses pairs et admiré du grand public. Il produit souvent des images matérielles qui visent à spiritualiser le corporel. Son utilisation de la figuration, débridée la plupart du temps, sobre parfois, s’inscrit dans la conception philosophique d’Hubert Damisch : « Ce qui importe est moins ce qu’une œuvre d’art représente que ce qu’elle transforme ». A ce titre, la participation artistique de Robert Combas à la reconstruction de la Cathédrale Notre-Dame de Paris s’inscrirait dans la logique de toute sa démarche professionnelle car il est bien placé pour prolonger le message d’Henri Matisse à la Chapelle du Rosaire : « Je veux que ceux qui entreront dans ma chapelle se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux. »
Renaud Faroux, Historien de l’art, Commissaire d’exposition.
Enseigne au Département Histoire de l’Art et Archéologie de l’Université de Lille et donne des conférences à l’Université Catholique